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Par valia1 le 17 Juin 2007 à 14:33
La ville close
Plus d’un touriste, parcourant nos montagnes, s’est arrêté sur les versants de la Margeride, devant un amoncellement bizarre de ruines semées sur une étendue trop considérable pour qu’elles échappent au regard.
Ça et là, des pierres noircies émergent des ronces ou percent le gazon qui les gagnent chaque jour; ici des débris plus considérables forment un monticule, là une ligne plus nette laisse deviner une muraille puissante lentement ruinée par les âges.
Voilà ce qui reste de la vaste cité que d’autres siècles ont vu naître et que nos sommets ont porté avec orgueil.
Assis sur quelque bloc de granit, le voyageur la relève par la pensée. Ici, il redresse les remparts, fait surgir les tours, creuse les fossés, ouvre les porte menaçantes; là, il perce des rues, élève des palais imposants, remet sur pied tout ce que le temps a renversé de sa main implacable.
L’encens fume dans les temples, il entend mugir les victimes que l’on égorge, le peuple inonde les portiques, les lances des soldats brillent aux créneaux. La cité revit dans toute sa puissance et sa splendeur.
Et lorsque, revenu à lui-même, le voyageur étonné se demande pourquoi tant de ruines ont remplacé tant de magnificence, et quel coup a frappé le corps gigantesque dont il contemple les cendres, de la solitude qui l’entoure aucune voix ne s’élève pour lui peindre l’agonie et les dernières convulsions de l’immense cadavre.
Pourtant la cité n’est pas morte sans laisser quelque trace dans la mémoire des hommes. L’histoire ne dit pas son nom, mais la légende qui se pose partout où les siècles ont imprimé leur trace, n’a eu garde d’oublier ces ruines; elle leur a fait une fin digne de l’âge de fer qui les a produites et leur mélancolique grandeur.
Quelques siècles avant notre ère la ville maintenant ensevelie était debout, telle que notre imagination se plaît à la reconstruire, puissante et belle, toujours prête à se parer pour les fêtes brillantes, ou à s’armer pour les combats.
Soudain, se répandit de maison en maison une rumeur qui glaçait d’épouvante les cœurs les plus intrépides. Depuis quelques jours, les habitants tombaient atteints d’un mal inconnue qui ne laissait jamais échapper sa proie et en quelques heures en faisait un cadavre horrible à voir.
Chaque jour voyait augmenter le nombre des victimes et la terreur des survivants.
Les druides s’adressèrent au ciel; d’innombrables victimes furent immolées, le sang humain arrosa les autels, mais le nombre de ceux que le terrible fléau frappait jusque dans les temples où ils se prosternaient, disait assez combien la divinité qui châtiait la ville était peu disposée à se laisser fléchir; et bientôt on vit les malheureux habitants, abandonnant sans pitié ceux que le mal avait atteints, chercher dans les bois un refuge contre la mort.
Alors ce fut dans la cité un silence lugubre. Rien ne l’interrompait que les cris des mourants ou la voix des quelques âmes héroïques que l’amour avait retenues auprès d’un mourant chéri.
Mais les fugitifs avaient porté dans les environs, avec la nouvelle du fléau, la terreur qu’il leur avait inspirée à eux-mêmes.
Les populations s’émurent, et folles de cette épouvante que nous causent les dangers contre lesquels notre prudence ni notre force ne savent de remède et qui semblent porter en eux comme un caractère surnaturel, elles prirent les armes pour rejeter dans leur cité maudite les malheureux qui en étaient sortis.
La peur étouffait dans les âmes tout sentiments de commisération et d’humanité, pour n’y laisser survivre que l’égoïste désir de sauver sa vie. Le monde n’avait pas encore entendu Dieu lui dire: Aimez-vous les uns les autres, et il ne savait ce que c’était la Charité.
Les fugitifs furent donc traqués sans miséricorde; rien ne désarmait la fureur de leurs ennemis, et ceux que les cavernes ténébreuses ne dérobèrent pas aux regards, ceux qui ne tombèrent pas percés d’une lance ou atteints d’une flèche, rentrèrent au milieu du gémissement et des larmes dans leurs foyers où les attendait la mort.
La terreur de ces chasseurs d’hommes était telle que, pour rendre toute évasion plus difficile, ils envoyèrent des esclaves murer les portes de la ville, et les massacrèrent à leur retour, de peur qu’après avoir respiré pendant leur travail un air empoisonné, ils n’apportassent parmi eux les germes de l’épouvantable fléau.
Pendant quelques jours, il s’éleva de la cité condamnée un concert déchirant de cris, de malédictions et de sanglots. L’imagination devine les drames dont elle fut le témoin. Des hommes se donnant la mort pour s’épargner une horrible agonie, d’autres attendant leur fin avec la stupidité du désespoir, d’autres en grand nombre se précipitant du haut des murs poussés par un espoir illusoire. S’ils ne se brisaient pas dans leur chute, ils erraient autour des remparts, torturés par la faim, et, s’ils s’aventuraient au loin, une flèche lancée par un arc invisible les frappait impitoyablement.
Puis le silence se fit, silence de cimetière. Tout était mort; la cité naguère si florissante n’était plus qu’un vaste ossuaire sur lequel planaient les oiseaux de proie; et l’on ne contemplait que de loin ces murailles mornes qui faisaient une tâche grisâtre au flanc de la montagne, comme pour marquer le lieu qu’avait frappé la malédiction du ciel.
Le vide se fit autour d’elles; les habitations reculèrent peu à peu, les alentours devinrent un désert et dans cette solitude gardée par une superstitieuse terreur, les siècles purent à loisir faire de ces remparts et de ces demeures les ruines que nous retrouvons aujourd’hui. <o:p></o:p>
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